Repenser le lit

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CHAPITRE 1

C’est quoi un lit? Ça vient d’où? Ça sert à quoi?


 

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Quand on dit le mot “lit”, l’image qui vient généralement en tête est un matelas épais et moelleux, posé sur un sommier, posé sur une plateforme surélevée et couronnée d’une massive tête de lit et décoré de coussins encore plus moelleux. Suivant cette vision, je me disais qu’un jour j’allais être riche et m’offrir des draps de soie avec mes initiales brodées à la main sur mes oreillers.

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Et puis j’ai lu cet article de la biomécanicienne Katy Bowman et ma perception du lit s’est transformée. (Hé oui, encore elle! 🤪On réfère souvent Katy Bowman parce que (1) elle est vraiment pertinente et (2) elle est parfois l’une des seules à parler de certaines manières alternatives de vivre et de bouger.)

 
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Dans cet article, Katy offre un tour guidé de sa maison et présente son aménagement de chambre assez atypique. À une époque, elle dormait avec son conjoint et ses jeunes enfants sur des futons posés au sol et rangés en journée. Aujourd’hui je crois que les futons sont posés sur des structures de bois pour faciliter leur aération. Par périodes, elle dormait aussi simplement sur des fourrures et des couvertes.

 
Katy Bowman range son “lit”. Vidéo complet de son aménagement via cette publication Instagram.

Katy Bowman range son “lit”. Vidéo complet de son aménagement via cette publication Instagram.

 

Katy soutient l’idée que dormir sur une surface dure amène une pression bénéfique sur le corps, ce qu’elle appelle “pressure-deforming movement”. Elle reconnait elle-même que le nom n’est particulièrement sexy, mais c’est celui qu’elle a trouvé jusqu’à maintenant pour décrire « les mouvements de la peau, des fascias, des tissus adipeux et des muscles qui n'impliquent pas de contraction, mais qui écrasent simplement une partie du corps contre autre chose. »

On a rendu notre habitat lisse et coussiné, confortable. Mais notre corps a envie de stimulations, alors on compense avec des foam rollers, des massages, des tapis texturés… Rechercher des façons d’intégrer ces stimulations au quotidien. Et la surface de sommeil fait partie des opportunités.

L’idée centrale est que la pression exercée sur notre corps peut délier les tensions et amène le corps à se détendre (c’est le principe fondamental du massage et des foam rollers).

Katy explique aussi qu’elle dort sans oreiller, une façon supplémentaire de faire bouger même les plus petites parties de son corps. Katy affirme que dormir constamment sur une même surface uniforme et moelleuse a altéré la mobilité et la force de différentes parties de notre corps, tout comme le port constant de souliers et le fait de marcher sur un terrain plat et invariable nous ont laissé une faible mobilité et force du pied.

Katy m’a fait réaliser que :

✅trop de confort signifie souvent moins de mouvements (réflexion élaborée en détails dans son livre qu’on adore Movement Matters)

✅le corps a besoin de mouvements et stimulations, même en dormant

✅si on change l’aménagement de notre maison, on bouge différemment

✅on peut s’amuser à questionner les conventions et essayer de nouvelles idées par nous-mêmes.

🔥C’est l’étincelle qui a allumé le feu. Dans les mois suivants, j’ai changé mon environnement de sommeil et testé différentes façons de dormir.

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Comment on dormait avant l’arrivée du lit moderne? Dans les arbres? Sur des feuilles? Dans un cocon de terre? Dans une grotte? Comment dormait l’humain au fil du temps? Quelles postures, où et avec l’aide de quels objets (si des objets étaient utilisés)?

Quand je me suis mise à réfléchir à l’histoire du lit, je pensais que l’humain ancestral dormait sur le sol, sans rien d’autre, comme plusieurs autres animaux.

Pis après j’ai découvert que les grands singes se fabriquent des lits dans les arbres… ce qui voudrait dire que les premiers hominidés ont probablement toujours eux aussi fabriqué des trucs pour mieux dormir.

 
Un chimpanzé dans son nid. Photo © Kathelijne Koops.

Un chimpanzé dans son nid. Photo © Kathelijne Koops.

 

Les chimpanzés se construisent des “nids” pour dormir dans les arbres (j’ai appris plus tard que les autres grands singes le font aussi). Des constructions ingénieuses. Et plus propres que les lits humains.

Ce qui m’a fascinée encore plus, c’est d’apprendre que les grands singes créent des plateformes délibérément confortables et sécuritaires, ce qui offrirait une meilleure nuit de sommeil. On apprend par la recherche de David Samson et Kevin Hunt que les chimpanzés choisissent les matériaux de leur plateforme de sommeil avec attention; des branches provenant d’une sélection réduite d’espèces d’arbres pour leurs propriétés avantageuses. Le plus souvent, les nids sont fabriqués grâce à des branches de l’espèce Cynometra alexandri. Cet arbre offre des branches à la fois solides et flexibles, ce qui offre du confort et minimise les chutes. Cet arbre a aussi la plus grande densité de feuillage des espèces analysées, ce qui offrirait la meilleure isolation et thermorégulation. Ces nids permettraient ainsi aux singes de se protéger des prédateurs et des intempéries. Le Cynometra alexandri repousserait même les insectes.

Alexander Piel et Fiona Stewart expliquent dans l’article Chimpanzee ‘nests’ shed light on the origins of humanity que « les chimpanzés sont nos plus proches parents vivants et les observer dans la nature nous aide à reconstruire comment nos ancêtres se sont adaptés à un environnement changeant il y a des millions d'années. » (traduction libre). Les chercheurs suggèrent que les chimpanzés ajustent leurs espaces de sommeil en réponse aux variations de températures, ce qu’auraient aussi fait nos ancêtres.

À savoir si on est devenus plus intelligents parce qu’on dort sur des lits confortables ou si on construit des lits confortables parce qu’on est cognitivement aptes à le faire, c’est une autre question…

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Photo de Marion Bamford.

Photo de Marion Bamford.

Dans le même ordre d’idées, les plus vieux lits humains retrouvés à ce jour sont faits de feuillage.

Cette intrigante photo présente les restants fossilisés de ce qui a était jusqu’à tout récemment présenté comme le plus vieux matelas retrouvé à ce jour*. Il daterait de 77 000 ans.

C’est un “matelas” composé de minces couches de carex, de joncs et d’herbes. Il a été retrouvé dans abri rocheux en Afrique du Sud et a probablement été fabriqué par des communautés de chasseurs-cueilleurs nomades qui s’y installaient pour quelques semaines à la fois. La plante choisie comme literie repousse les insectes. La literie aurait aussi été brûlée par moments pour se débarrasser des parasites et des déchets qui s’accumulaient.

* Pendant que j’écrivais cet article, l’archéologue Martin Lominy m’a partagé un article présentant une nouvelle découverte : possiblement une autre literie préhistorique composée de feuilles et de cendres et datant d’environ 200 000 ans (l’Homo Sapiens lui-même aurait entre 200 et 300 000 ans).


CONFORT ET SÉCURITÉ


L’humain est ingénieux et a continué d’investir dans son confort. D’ère en ère, les matériaux utilisés pour dormir deviennent de plus en plus sophistiqués, de la paille rudimentaire jusqu’aux inventions “révolutionnaires” qui font maintenant partie de certains matelas et oreillers, comme la mousse mémoire (une technologie de la NASA).

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En continuant les recherches sur l’histoire du lit, on comprend que l’évolution du lit est influencée par nos besoins physiologiques. Mais aussi par des forces culturelles et commerciales.

Par exemple, si le lit aurait été initialement élevé du sol par différentes plateformes pour s’éloigner des insectes et autres nuisances, sa hauteur est devenue un symbole du statut social du dormeur. Une avancée jusqu’à la démesure 👇

Grand Appartement de la Reine, Château de Versailles.

Grand Appartement de la Reine, Château de Versailles.

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Faque l’humain invente des produits, design des choses pas juste pour les besoins de notre corps.

Questionner la perception que l’humain progresse vers toujours plus de confort, vers des produits optimaux… alors que les impératifs de design ne sont pas seulement le bien-être de notre corps.

Encore aujourd’hui, une plateforme élevée est la norme (et un signe de luxe) dans nos maisons même si les insectes, les serpents et le froid rampant ont quitté nos espaces. On perçoit souvent les lits super opulents comme un signe de richesse et de succès.

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Comme beaucoup d’autres objets modernes, notre représentation du lit est aussi soutenue et amplifiée par l’industrie qui l’entoure.

L’industrie mondiale du matelas vaut aujourd’hui des milliards de dollars. Ne pas oublier que l’intérêt des compagnies de matelas, c’est de vendre… des matelas.

Quand on porte attention, on remarque d’ailleurs que le web est inondé d’articles sur le sommeil produits ou commandités par des compagnies de matelas ou d’oreillers. Même si le contenu de ces articles sont intéressants, ce n’est pas là qu’on retrouve une perspective critique ou innovante pour repenser nos façons de dormir.

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En fait, la plupart des articles populaires sur l’histoire du lit présentent généralement les matelas modernes comme s’ils étaient l’évolution directe et naturelle des literies de feuillage préhistoriques.

 
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L’affaire… c’est que l’humain a dormi sur un 🌿 tas de feuilles 🌿 beaucoup plus longtemps qu’il n’a dormi sur un matelas de mousse spatiale.

Si on replace l’histoire du lit en tenant compte de la chronologie, ça donne plutôt ceci :

 
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Autrement dit, l’histoire du lit c’est l’humain qui dort ben longtemps sur des items naturels rudimentaires. Et puis c’est un tapon d’inventions en très peu de temps d’une perspective évolutive.

Notre intention n’est pas de revenir au mode de vie des chasseurs-cueilleurs. On aime la vie urbaine à Montréal et on ne compte pas dormir dans nos plate-bandes (quoiqu’on a dormi sur notre balcon une fois et on a adoré).

Face à ce constat, notre intention avec ce livret n’est pas de décortiquer l’industrie du matelas et de pointer du doigt les problèmes avec les matériaux industriels et leur impact sur notre santé.

La qualité du sommeil dépend de tellement de facteurs, que ça me semble une tâche difficile à ce stade de relier clairement les bienfaits ou maux du corps seulement au matelas ou à la plateforme de sommeil.

Mon intention avec les recherches étaient de voir comment l’humain peut dormir (et bien dormir) sans bebelles modernes.

Comment dormait l’humain sur un lit de feuilles? comprendre notre capacité à dormir sur des surfaces rudimentaires.

ça semble important de questionner la perception que notre corps dépend de technologies sophistiquées pour s’épanouir.

Questionner ce qui nous entoure

Réaliser qu’on peut combler nos besoins de confort et de sécurité et de beauté et de joie de vivre même sans consommer de plus en plus.

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Moi aussi je me demandais encore à ce stade “Est-ce vraiment

Faque j’ai continué les recherches.

Comment dormait (et dort encore) l’humain sans attirail industriel?

Story of the Human Body

Règle des Spice Girls

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Que penserais-je du lit moderne si j’étais née il y a 250 000 ans?

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Les lits sont si hauts que, comme pour une chaise, on n’a plus besoin de squatter pour s’asseoir puis s’allonger sur notre matelas. Une fois que le matelas a été surélevé, on a créé des tables de chevet pour élever les objets qu’on veut avoir à la distance d’un bras, sans se pencher ou bouger davantage.

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VERSUS

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VERSUS

Entre confort et statut social : Nos vies éloignées du sol

 
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Nos divans, chaises, toilettes, tables, comptoirs de cuisine… Dans une maison conventionnelle, tout est surélevé pour être à la portée de nos mains. Ou de nos fesses.

Ça peut sembler anodin, mais l’élévation de notre mobilier retire une grande partie de nos mouvements quotidiens, un geste à la fois. Après des décennies ainsi, certaines personnes âgées sont si peu habituées à se pencher, squatter ou s’accroupir qu’elles ont besoin de divans de plus en plus épais ou de lits électroniques qui se baissent pour les accueillir. Et les risques de chute sont de plus en plus sérieux et graves (c’est le cas de ma grand-maman).

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La chaise est si dominante dans nos vies qu’on oublie presque son existence… et le fait qu’elle n’a pas toujours existé… et le fait que des communautés ailleurs dans le monde s’en passent encore à ce jour. Galen Cranz explique magnifiquement comment la chaise est une création humaine dont le design est influencé par notre culture et par notre désir de beauté et de prestige social davantage que par nos besoins physiologiques.

 

Vers quelle vie se dirige l’humain? Personnellement, on veut être comme le p’tit vieux à droite.