Le mouvement autrement

Texte original de Marie-Claude Lacerte pour Lentement Magazine - Édition du printemps 2019.

Illustrations par Marie-Pier Tremblay.


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Sur Lentement Magazine

Lentement est un magazine qui donne envie de ralentir, de faire autrement, de se donner de l’espace pour grandir et apprendre, tout au long de la vie. On y lit notamment des articles sur la famille et l’éducation alternative, des réflexions sur la vie moderne, des poèmes et des récits inspirants. C’est un magnifique magazine indépendant fabriqué au Québec, sans publicité ni financement. On peut se procurer une copie papier du magazine sur leur boutique en ligne.


 
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Quand j’étais jeune, on partait en vélo faire le tour du bloc, on allait cogner chez nos amis pour savoir s’ils avaient envie de jouer à la tague ou bien on courait, pieds nus sur l’asphalte brûlante en été, pour aller se baigner à la piscine du coin. J’appréciais bien les parties improvisées de baseball devant la maison, même si nos balles de tennis finissaient toujours par disparaître dans une haie de cèdre. Nos parents, et même nos grands-parents, nous rejoignaient parfois pour une partie de ballon-chasseur qui réunissait toutes les familles de la rue. La maison entière était aussi notre terrain de jeu. Mon frère, mes soeurs et moi pouvions sauter d’un divan à l’autre pour se sauver du plancher de lave ou bien vider l’armoire contenant les boîtes de céréales et les pots de farine pour se cacher dans la cuisine. 

Cette enfance grâce à laquelle je conserve des souvenirs doux et précieux représente maintenant une pierre d’assise sur laquelle m’appuyer pour progresser. Pendant longtemps, j’ai pourtant eu le sentiment d’avoir perdu pied. En vieillissant, bouger était devenu un mal nécessaire, une corvée que j’avais de la difficulté à garder à mon horaire malgré mon enthousiasme initial envers de nouvelles résolutions.

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Les années entre l’adolescence et ma mi-vingtaine ont été un déclin parfois tranquille parfois abrupte vers l’anxiété. Perfectionniste dans toutes les sphères de ma vie, je visais l’optimisation absolue de mon temps. Même en faisant la vaisselle, mes gestes devaient être précis et efficaces. 

Cette mentalité d’optimisation s’appliquait aussi à mon corps et à ma vision de l’activité physique. Je me disais que je devais bouger intensément et qu’être fit serait la démonstration de ma détermination. De mon adolescence, je conserve deux moments forts : Mes entraînements de volleyball au secondaire et la victoire improbable, mais éclatante, de mon équipe de balle-molle aux Jeux du Québec contre une équipe jusque là indétrônable. 

Après ces années de sport organisé, j’étais cependant de moins en moins active. Comme beaucoup de filles et de femmes, j’étais inconfortable, parfois même misérable, dans mon corps et habitée d’une peur viscérale d’avoir un surplus de poids et d’être… indésirable. Si je me définissait autrefois comme une sportive, je ne savais plus vraiment ce que j’étais et ce que j’aimais.

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Tantôt par réel intérêt, tantôt par culpabilité face à ma sédentarité, je cherchais désespérément une activité physique qui me comblerait. J’ai essayé le cheerleading, les cours d’aérobie, l’haltérophilie, le yoga, le squash, le ping-pong, le canot, la randonnée, le camping, le pilates, le badminton, le jogging, le tennis, le surf, la lutte, le judo, la boxe thaïlandaise, l’escalade, l’athlétisme et le powerlifting. Je me rappelle encore la discipline que j’essayais de maintenir pour apprendre le tai chi. J’utilisais une vieille cassette VHS appartenant à mon père. L’enseignante avait une coupe champignon, des grosses lunettes et un ensemble en jogging vert pâle. Elle me faisait penser à une mante religieuse. Je l’aimais bien. Et je me levais chaque matin à pas feutrés pour faire mon tai chi dans le petit salon de la maison, après avoir reculé le divan et le pouf pour me tailler un espace et avant que ma famille se lève, parce que j’étais trop gênée de bouger devant eux.  

Je réalise maintenant que je cherchais un nouvel ancrage. Je cherchais un univers sportif qui me ferait sentir à la maison. Et je continuais de chercher parce que je n’avais tout simplement pas encore trouvé ma place.

C’est la création de mon entreprise qui m’a menée vers une nouvelle piste. Et ce simple filon est tranquillement devenu une quête profonde pour comprendre comment valoriser mon corps et cultiver une vie riche en mouvements.

Voici mon cheminement en trois périodes clés.

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1. Le retour au jeu

La rencontre de ma première partenaire d’affaires est un moment tournant de ma vie. J’ai rencontré Priscilla à HEC, alors que j’étais assistante pour l'un de ses cours au certificat en création d’entreprise. Elle cherchait des contacts et des ressources pour démarrer son propre projet de conception d'équipement de sport pour enfants : des items au design minimaliste, personnalisables par l'enfant et faits de manière écoresponsable. 

Je suis immédiatement tombée sous le charme du projet, mais aussi de Priscilla. Elle a une façon de sourire à la vie qui me rappelle ma propre mère. Ma mère qui rit de bon coeur en regardant les films de Disney, qui entre dans la maison avec, au creux de ses mains, des fraises du jardin ou qui nous laissait grimper sur les comptoirs, se déguiser avec tout ce qu'on trouvait dans la maison et faire des "recettes" avec de la bouette. Ma mère qui nous a laissé jouer librement. Comme des enfants.

Dans cet esprit de promotion du jeu et de l’épanouissement des enfants, Priscilla et moi avons lancé Renard, un projet d’entreprise qui a évolué dans sa forme, mais l’envie d’aider les parents à bouger en famille est resté longtemps. 

Cette rencontre m’a permis de redécouvrir l'enfant en moi. Priscilla m’expliquait que son jeune garçon, pour se motiver à dévaler les pistes enneigées durant ses cours de ski, imaginait se sauver de plusieurs Tyrannosaurus rex cachés dans la forêt (il ADORE les dinosaures). Elle saluait l’approche du moniteur de ski qui, au lieu de s’éterniser sur des analyses techniques dans ses évaluations, avait écrit une simple note d’encouragement : « Fais attention aux T-Rex! »

J’étais émerveillée par l’efficacité du jeu à animer un enfant pendant des heures. Je me suis alors demandée comment je pourrais moi-même insuffler un tel enthousiasme à mes journées. 

Auparavant, le jeu ne me paraissait pas très sérieux pour un adulte et, surtout, pas très productif. J’ai finalement réalisé que c’était un carburant beaucoup plus puissant que la simple motivation à performer. C’était le début de ma quête personnelle pour retrouver et cultiver un sentiment de joie profonde et de liberté, plutôt que de bouger pour brûler des calories ou pour prouver ma valeur.

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2. Un univers de possibilités

La naissance de Renard marque le début de recherches exhaustives pour identifier comment aider d’autres personnes à bouger régulièrement. Un constat a émergé : les parents sont épuisés. Si la charge mentale est déjà élevée et que les gens ont de la difficulté à dormir suffisamment, comment alors leur demander d’en faire encore plus en ajoutant des activités physiques à leur horaire? Constamment fatiguée et anxieuse, j’étais moi-même désemparée à l’idée de devoir m’entraîner davantage. On devait trouver une autre avenue.

Un premier indice est apparu en lisant un rapport sur les niveaux d’activité physique de différents pays : un élément distinctif chez les populations actives est la présence du transport actif dans le quotidien des gens. Hé oui, je découvrais que la solution pour des citoyens en santé n’est pas nécessairement d’augmenter les heures de gym, mais aussi de valoriser les déplacements quotidiens à pieds ou à vélo (ou bien en patins, en trottinette ou en planche à roulettes).

J’étais jusque là obnubilée par les mouvements amples et intenses de l’entraînement sportif et aveugle à l’importance des mouvements doux et récurrents. Je faisais certes du vélo huit mois par année pour me déplacer, mais c’était souvent pour courser contre la montre et dépenser un maximum d’énergie. De ce point de vue, la marche me semblait plutôt insignifiante. Ça créait donc un certain choc de réaliser que les petits gestes du quotidien comptaient. 

Cette idée a réellement fleuri grâce à l’approche et aux travaux de Katy Bowman, une biomécanicienne américaine qui valorise tous les types de mouvements, incluant les micromouvements du corps, comme ceux de la mastication ou de l’adaptation du pied durant la marche. Afin d’offrir des opportunités pour bouger des doigts jusqu’aux orteils, Katy accueille même des cours de macramé à son nouveau studio!

Je me suis ainsi ouverte à un nouvel univers de possibilités de mouvements, ce qu’on appelle maintenant chez Renard « le potentiel oublié du quotidien ».

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3. Choisir l’essentiel

Le tourbillon de la vie familiale a rendu de plus en plus difficile pour Priscilla de s’impliquer pour Renard et nous avons cessé amicalement notre partenariat. Quelque temps plus tard, Vincent manifestait son envie de se joindre à l’aventure entrepreneuriale avec moi. Il avait déjà son propre blogue sur les façons de repenser son quotidien pour être plus en santé et nous avions fait une tournée pan-canadienne d’un an pour ParticipACTION afin de promouvoir l’activité physique. On s’est tapé sur les nerfs souvent, mais on a appris à se connaître et à travailler ensemble. 

Durant la tournée, on vivait dans les hôtels. On trainait tout ce qu’on possédait. Notre maison était dans notre valise. Au départ, j’ai rempli ma valise au maximum, par peur de manquer de quelque chose. Finalement, je portais toujours le même chandail… mon préféré. J’ai alors compris que je pouvais vivre avec bien peu de choses. Chaque fois qu’on revenait à Montréal, ma valise se vidait un item à la fois. Elle devenait de plus en plus légère. Et moi aussi. 

De retour à la maison pour de bon après cette année nomade, Vincent et moi étions tous deux dans une période de réflexion. Maintenant qu’on se posait, que voulait-on vraiment garder dans nos vies? En termes matériel, oui, mais aussi en termes d’objectifs professionnels, d’engagements sociaux, de narratifs internes… et d’activités physiques?

À ce moment, le slogan de Renard était « Le retour à l’essentiel ». Me remémorer mon enfance me procurait un sentiment d’ancrage et de reconnaissance profonde. Mais je peinais encore à identifier ce qui me paraissait essentiel à ma vie, maintenant, à 30 ans. Face au vaste univers de possibilités de mouvements qui s’ouvrait devant moi, encore fallait-il choisir ce à quoi je dédierais mon temps. Une chose était claire : j’étais tannée d’essayer d’optimiser chaque seconde de mes journées pour en faire le plus possible. Je voulais en faire moins, pour apprécier les moments davantage.

Grâce à (beaucoup) d’introspection, j’ai finalement réalisé que mes plus grands moments de joie sont des moments doux et réflexifs. J’aime parfois les activités physiques explosives, mais je dois souvent me rappeler que je n’ai pas besoin de devenir la prochaine championne de crossfit pour être une humaine active et valable. 

J’ai donc commencé à faire le ménage de mes mouvements comme je le ferais pour mes biens matériels.

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Une vie qui s’enrichit

Ma routine matinale commence maintenant avec une pause, tout en squattant, pour regarder mes plantes. Ma préférée est l’épinard de malabar, une espèce comestible qui pousse à vue d’oeil, même à l’intérieur. (Y’a une fourmi qui vit dans le pot depuis des semaines, c’est trop mignon). À ma grande surprise, j’apprécie de plus en plus jardiner afin de toucher la terre et de faire bouger mes mains. J’adore aussi marcher pieds nus, manger assise au sol, travailler debout ou à genoux et dormir sur un mince matelas japonais. J’ai même placé mes bols sur la plus haute tablette afin de m’étirer un peu plus chaque jour.

Quelques matins par semaine, on se rend au gym où je fais, à mon rythme, du yoga ou du pilates et parfois des entraînements musculaires. Vincent et moi essayons aussi de ponctuer nos journées de marches pour prendre de l’air frais et du soleil. J’aime particulièrement marcher quand nous avons une quête à réaliser, aussi simple soit-elle, comme faire une tournée de boîtes à livres, visiter une nouvelle épicerie écolo ou découvrir des ruelles vertes et de l’art urbain. 

Finalement, en été, c’est un rituel que de me rendre au parc en vélo pour jouer à la balle-molle. Une communauté de balle-molle chaleureuse m’a permis de renouer avec ce sport que j’avais délaissé. C’est comme quand je sortais dehors, enfant, pour jouer au ballon-chasseur. Il y a toujours quelqu’un avec qui jouer. 

Bref, au lieu de bouger davantage, j’essaie maintenant de bouger autrement. Des habitudes simples, petites et bienveillantes sont apparues une à une dans mes journées. Graduellement, je retrouve de la stabilité parmi le chaos émotionnel qui ébranlait ma vie depuis une décennie.

 

À la question « Pourquoi bouger? », l’entraîneur multidisciplinaire Ido Portal répond « Parce qu’on le peut ». L’humain est fait pour bouger. Et notre capacité à bouger de toutes les façons nous permet d’expérimenter la vie sous toutes ses facettes. Petit à petit, le mouvement est devenu, à mes yeux, une célébration quotidienne.


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